Le cinéma, c’est…

De nombreux sites Internet attribuent cette phrase à Jean Cocteau. On la relève à partir de 1966 :

Si, comme le disait Jean Cocteau, « Le cinéma, c’est l’écriture moderne dont l’encre est de lumière », Jacques Prévert a su en utiliser toutes les ressources.

Monique Mandrillon, « Jacques Prévert », dans Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat et Charles Géronimi, Littérature de notre temps, vol. I (« Écrivains français »), p. 190.

Il s’agit d’une citation très approximative du passage suivant :

Le Cinéma, vestibule d’ombre que le public traverse et qu’il regarde distraitement, deviendrait alors et peu à peu le cinématographe, c’est-à-dire l’écriture moderne¹, l’encre de lumière, écriture dont le style dépasse la parole et dont la syntaxe est visuelle.

Jean Cocteau, « Cinéma et cinématographe », Paris-presse-l’intransigeant, 2 septembre 1949, p. 4.

Dans la citation originale, Cocteau parle du cinématographe et non du cinéma, ce qui n’est pas anodin, car celui-ci distingue les deux, le second désignant un divertissement grand public et le premier une forme d’art. L’écrivain s’en explique lors d’entretiens en 1951 avec André Fraigneau².

Notes

1. « Le cinématographe, écriture neuve », selon Robert Bresson (Notes sur le cinématographe, p. 69).

2. « J’use exprès du terme cinématographe pour ne pas confondre le véhicule qu’il représente avec ce que l’on a coutume d’appeler le cinéma, sorte de muse assez suspecte, en ce sens qu’il lui est impossible d’attendre alors que toutes les autres muses attendent et devraient être peintes ou sculptées dans l’attitude de l’attente. »

Jean Cocteau, « Entretiens avec André Fraigneau », dans Entretiens sur le cinématographe, p. 11.

« Mon premier soin, dans un film, est d’empêcher que les images ne coulent, de les opposer, encastrer et joindre sans nuire à leur relief. Or, c’est cette coulée déplorable que les critiques du cinématographe appellent “le cinéma” et qu’ils prennent pour son style. Ils disent couramment qu’un film est peut-être bon, mais “n’est pas du cinéma” ou qu’un film manque de beauté mais qu’il est “du cinéma” et ainsi de suite. C’est contraindre le cinématographe à n’être que distraction au lieu d’être un véhicule de la pensée. Cela conduit nos juges à condamner en deux heures et en cinquante lignes une œuvre qui résume vingt ans de travail et d’expérience. »

Id., ibid., p. 13.

« J’évite le mot cinéma et j’adopte le mot cinématographe.

ENTRETIENS AUTOUR DU CINÉMATOGRAPHE

me semble définir notre travail. »

Id., « Postface aux entretiens », dans ibid., p. 103.

Cette distinction sera reprise par Robert Bresson :

« Et, si vous voulez, pour que nous soyons bien d’accord : appelons “cinéma” l’ensemble des films d’aujourd’hui et “cinématographe” l’art cinématographique, c’est-à-dire un art qui a son langage propre, ses moyens propres. »

Robert Bresson, « Aspects de la création dramatique : l’adaptation », propos recueillis par Michel Sibiet [entretien diffusé sur la RTBF, 23 février 1965], dans Entretiens, p. 151.

« Tout le secret pour moi du cinématographe, que j’appelle “cinématographe” (comme Cocteau), en opposition à “cinéma” (les films de “théâtre photographié”), est uniquement un art de rapports. »

Id., « Un âne dans toute sa pureté, sa tranquillité, sa sérénité, sa sainteté », propos recueillis par François-Régis Bastide [entretien radiophonique du Masque et la Plume, France Inter, 30 avril 1966], dans ibid., p. 165.

Cf. aussi Robert Bresson, « Robert Bresson, la différence entre cinéma et cinématographe », « L’INA éclaire l’actu », dans INA [en ligne] et « Robert Bresson à la Mostra de Venise », « L’INA éclaire l’actu », dans INA [en ligne].

Sources

• Bresson (Robert), Notes sur le cinématographe, [Paris], Gallimard, DL 1975.
• Bresson (Robert), « Robert Bresson, la différence entre cinéma et cinématographe », « L’INA éclaire l’actu », dans INA [émission télévisée « Bresson ni vu ni connu », Cinéastes de notre temps, 2^e chaîne, 17 juin 1965, [en ligne], INA, mis à jour en 2020 [consulté le 31 mars 2024].
• Bresson (Robert), « Robert Bresson à la Mostra de Venise », « L’INA éclaire l’actu », dans INA [émission télévisée « Robert Bresson à la Mostra de Venise », 24 Heures sur la Une, 1^re chaîne, 5 septembre 1966, [en ligne], INA, mis à jour en 2020 [consulté le 31 mars 2024].
• Bresson (Robert), Entretiens, éd. Mylène Bresson, Paris, Flammarion, DL 2022.
• Cocteau (Jean), « “Le cinéma, c’est l’écriture moderne dont l’encre est la lumière” », « Citations », Le Figaroscope [en ligne], s. d.
• Cocteau (Jean), « Cinéma et cinématographe », Paris-presse-l’intransigeant, 2 septembre 1949, p. 4.
• Cocteau (Jean), Entretiens sur le cinématographe, [Monaco], Éditions du Rocher, DL 2003.
• Majault (Joseph), Nivat (Jean-Maurice) et Géronimi (Charles), Littérature de notre temps, Tournai, Casterman, 1966.

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