Une image vaut…

par | Publié le 19.10.2024, mis à jour le 22.10.2024 | Non classé

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Une image vaut mille mots.

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Si l’on en croit les sites de citations, cette phrase vient de Confucius. On la trouve même dans un ouvrage qui mérite bien son nom : Confucius à la plage. Bien évidemment, le philosophe chinois n’a jamais rien dit de tel. Pourquoi alors cette attribution ?

Notre formule apparaît pour la première fois en 1911 sous la plume de l’éditorialiste et directeur éditorial américain Arthur Brisbane :

Use a picture. It’s worth a thousand words.

 

Utilisez une image. Elle vaut mille mots.

Arthur Brisbane, « Newspaper Copy That People Must Read », Printers’ Ink : A Journal for Advertisers, vol. LXXV, no 3, p. 17 ; notre trad.

Comme le note Garson O’Toole1, elle a été employée par le passé sous d’autres formes et va continuer à l’être, car c’est la réclame qui fera son succès. En 1913, une marque de lampes électriques annonce :

The Japanese have a proverb — « One look is worth a thousand words ». One look at « Golden Glow » Lamps can tell you more of their merits than a hundred advertisements.

 

Les Japonais ont un proverbe : « Un regard vaut mille mots. » Un seul regard sur les lampes « Golden Glow » peut vous en dire plus sur leurs mérites qu’une centaine de publicités.

Arthur Brisbane, « Newspaper Copy That People Must Read », Printers’ Ink : A Journal for Advertisers, vol. LXXV, no 3, p. 17 ; notre trad.

Par l’imagination d’un publicitaire, la citation venait donc du Japon, qui a le mérite d’être une terre de sagesse et d’exotisme. Au passage, l’image (picture) s’est transformée en regard (look). D’autres annonceurs utiliseront ce « proverbe japonais », jusqu’à ce qu’il devienne chinois en 1915 :

The Chinese have a saying that one look is worth a thousand words.

 

Les Chinois disent qu’un regard vaut mille mots.

« Colby Shop-Made Furniture Is Sold Direct to You », The Chicago Daily Tribune, 12 octobre 1914, p. 9 ; notre trad.

Chaque publicitaire voulant faire plus fort que le précédent, en 1925 l’un d’entre eux fait de Confucius l’auteur du « proverbe », revient à l’image (picture) et transforme mille en dix mille ! Pourquoi se gêner ?

One picture is worth

ten thousand words.

— Confucius

 

Une image vaut

dix mille mots.

— Confucius

« Colby Shop-Made Furniture Is Sold Direct to You », The Chicago Daily Tribune, 12 octobre 1914, p. 9 ; notre trad.

En français, la phrase ne sera attribuée à Confucius qu’en 1947, mais cette fois avec vingt mille mots !

Une image vaut vingt mille mots, disait le sage philosophe chinois Confucius.

« Les syndicats d’initiative pensent à… », V, no 134, p. 15.

L’inflation est passée par là. Même La Grande Encyclopédie de Larousse a avalisé le proverbe chinois en 1976. Si notre phrase n’est pas un vieux proverbe chinois et, encore moins, confucéen, on en trouve la source dans la littérature mondiale, comme le prouve cet extrait de xxx, d’Ivan Sergueïevitch Tourgueniev.

Notes

1. Garson O’Toole, « A Picture Is Worth Ten Thousand Words », dans Quote Investigator [en ligne], 2022.

2. Dans son édition de Paméla, Jonathan Mallinson note : « Voltaire alludes to La Fontaine, Contes, 4 : 11 : “Diversité, c’est ma devise” (“Pâté d’anguille”, line 4) but gives it a special relevance. The conte tells of a valet who adopts the inconstant lifestyle of his master, who has seduced his valet’s wife; having suffered the changing allegiances of the king, Voltaire implicitly lays claim to his own independence and right to find other sources of consolation » (« Voltaire fait allusion à La Fontaine, Contes, IV, 11 : “Diversité, c’est ma devise” (“Pâté d’anguille”, ligne 4), mais lui donne une résonance particulière. Le conte relate l’histoire d’un valet qui adopte le mode de vie inconstant de son maître, lequel a séduit la femme de son valet ; après avoir subi les allégeances changeantes du roi, Voltaire revendique implicitement sa propre indépendance et son droit à trouver d’autres sources de consolation ») [Voltaire, « Paméla », « Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même », p. 119, n. 12 ; notre trad.].

Sources

  • Brisbane (Arthur), « Newspaper Copy That People Must Read », Printers’ Ink : A Journal for Advertisers, 20 avril 1911, vol. LXXV, no 3, p. 17.
  • « Colby Shop-Made Furniture Is Sold Direct to You », The Chicago Daily Tribune, 12 octobre 1914, p. 9.
  • « Golden Glow Electric Lamps », Automobile Trade Journal, août 1913, vol. XVIII, no 2, p. 3.
  • Grande Encyclopédie (La), 20 vol., Paris, Larousse, cop. 1971-1976.
  • « Here Are Pictures of the Two Leading Models for Spring and Summer in Kuppenheimer Good Clothes », Tulsa Daily World, 20 mars 1925, p. 3.
  • O’Toole (Garson), « A Picture Is Worth Ten Thousand Words », dans Quote Investigator [en ligne], Quote Investigator, 2022 [consulté le 19 octobre 2024]
  • « syndicats d’initiative pensent à… (Les) », V, 27 avril 1947, no 134, p. 15.
  • Mercure de France : dédié au Roy, janvier 1755.
  • Nivat (Jean), « Quelques énigmes de la correspondance de Voltaire », Revue d’histoire littéraire de la France, 1953, 53e année, p. 439-463.
  • Voltaire, Recueil des lettres : correspondance générale, 12 vol., [Kehl], Imprimerie de la Société littéraire typographique, 1785 ; Œuvres complètes, vol. LII-LXIII.
  • Voltaire, Romans et contes en vers et en prose, éd. Édouard Guitton, [Paris], Librairie générale française (coll. « Le Livre de poche », « La Pochothèque », série « Classiques modernes »), DL 1994.
  • Voltaire, L’Affaire Paméla : lettres de M. de Voltaire à Mme Denis, de Berlin, éd. André Magnan, Paris, Paris-Méditerranée, DL 2004.
  • Voltaire, « Paméla », « Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même », éd. Jonathan Mallinson, Oxford, Voltaire Foundation, 2010 ; Œuvres complètes, vol. XLV C.

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