Le genre masculin…
«
Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble.
»
Cette citation ne présente ni problème d’attribution (elle est bien de Claude Favre de Vaugelas) ni problème de déformation. Alors quoi ? Telle qu’elle est présentée, elle semble légitimer le fait que le masculin l’emporte et doit l’emporter sur le féminin. Si on la remet dans son contexte, c’est pourtant loin d’être le cas !
Dans la phrase Ce peuple a le cœur et la bouche ouverte à vos louanges, Vaugelas se demande s’il faut dire ouverte ou ouverts. Voici sa réponse détaillée :
Il faudroit dire, ouverts, selon la Grammaire Latine, qui en use ainsi1, pour une raison qui semble estre commune à toutes les langues, que le genre masculin estant le plus noble, doit predominer toutes les fois que le masculin & le feminin se trouvent ensemble ; mais l’oreille a de la peine à s’y accommoder, parce qu’elle n’a point accoustumé de l’ouir dire de cette façon, & rien ne plaist à l’oreille, pour ce qui est de la phrase & de la diction, que ce qu’elle a accoustumé d’oüir. Je voudrois donc dire, ouverte, qui est beaucoup plus doux, tant à cause que cét adjectif se trouve joint au mesme genre avec le substantif qui le touche, que parce qu’ordinairement on parle ainsi, qui est la raison decisive, & que par consequent l’oreille y est toute accoustumée. […] Mais qu’on ne s’en fie point à moy, & que chacun se donne la peine de l’observer en son particulier.
Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue françoise…, p. 83-84.
Pour le grammairien du xviie siècle, les femmes doivent même être prescriptrices en matière de langue. En conclusion, citons l’historien de l’enseignement André Chervel :
La règle « le masculin l’emporte sur le féminin » est l’une des plus célèbres de la grammaire française. Elle a surtout cette particularité d’être absente de la plupart des ouvrages de grammaire française, depuis les manuels scolaires jusqu’aux traités les plus savants ; de ceux qui figurent au catalogue de la Bibliothèque nationale, c’est-à-dire de l’immense majorité d’entre eux.
André Chervel, « La place du masculin dans la langue française : pourquoi le masculin l’emporte sur le féminin », dans Le Féminin et le masculin dans la langue, p. 79.
Notes
1. En réalité, la grammaire latine accorde de préférence l’adjectif épithète avec le nom le plus proche.
Sources
- Chervel (André), « La place du masculin dans la langue française : pourquoi le masculin l’emporte sur le féminin », dans Le Féminin et le masculin dans la langue : l’écriture inclusive en questions [PDF], sous la dir. de Danièle Manesse et Gilles Siouffi, Paris, ESF sciences humaines, cop. 2019, p. 79-94.
- Grinshpun (Yana), « La “masculinisation” du français a-t-elle eu lieu ? », Observables, juin 2021, no 1, p. 103-138.
- Grinshpun (Yana) et Szlamowicz (Jean), « La masculinisation de la langue française est une thèse farfelue », propos recueillis par Thomas Mahler, L’Express, 1er juillet 2021, p. 62-63.
- Vaugelas (Claude Favre de), Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris, Augustin Courbé, 1647.
- Vaugelas (Claude Favre de), Remarques sur la langue françoise, éd. Zygmunt Marzys, Genève, Droz, 2009.
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