L’imagination est…

Cette phrase est généralement prêtée à Nicolas Malebranche par les dictionnaires de citations et les sites Internet. On a même la source : De la recherche de la vérité. Pourtant, force est de constater que notre citation est absente de ce livre et même de toute l’œuvre de Malebranche en général. Alors pourquoi lui est-elle attribuée ? Voltaire semble en être le responsable. Dans ses Questions sur l’Encyclopédie, il écrit :

Adorons les secrets de la providence mais défions-nous des écarts de l’imagination, que Mallebranche appellait, la folle du logis.

Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, vol. II, p. 79.

La formule est peut-être bien de Voltaire puisque le philosophe la réutilise sans lui attribuer d’auteur dans une lettre à M^me Du Deffand :

[…] pour dire d’excellentes choses dans un plat livre, il ne faut que laisser courir son imagination. Cette folle du logis a presque toujours de beaux éclairs […].

Id., Lettre à la marquise Du Deffand, Ferney, 1^er novembre 1773, dans Recueil des lettres : correspondance générale, vol. XI (« 1772-1774 »), p. 266.

Et Malebranche dans tout ça ? Il a bien tenu des propos approchants dans l’ouvrage précité :

Mais lorsque l’imagination domine sur l’ame, que ces traces se forment par la disposition du cerveau, & par l’action des objets, & des esprits sans attendre les ordres de la volonté, il est visible que c’est une tres-mauvaise qualité, & une espece de folie.

Nicolas de Malebranche, De la recherche de la vérité, vol. I, II, p. 253-554.

On les retrouve dans Les Méditations chrétiennes :

L’imagination est une folle qui ne peut souffrir que l’attention soit sérieuse […].

Id., Meditations Chrestiennes, p. 356.

Et enfin dans les Entretiens sur la métaphysique et sur la religion :

L’imagination est une folle qui se plaist à faire la folle.

Id., Entretiens sur la metaphysique & sur la religion, p. 4.

De quel usage peut être une faculté [l’imagination] si déreglée, une folle qui se plaist à faire la folle, une volage qu’on a tant de peine à fixer, une insolente qui ne craint point de nous interrompre dans nos plus serieux commerces avec la Raison ?

Id., ibid., p. 177.

Sources

• Dictionnaire de proverbes et dictons, éd. Florence Montreynaud, Agnès Pierron et François Suzzoni, Paris, Dictionnaires Le Robert (coll. « Les Usuels »), DL 1994.
• Dictionnaire des citations françaises, sous la dir. de Robert Carlier, et al., Paris, Larousse (coll. « Expression »), DL 1998.
• Dournon (François), Dictionnaire des mots et formules célèbres, Paris, Dictionnaires Le Robert (coll. « Les Usuels »), DL 1994.
• Dournon (Jean-Yves), Le Grand Dictionnaire des citations françaises, Paris, Acropole, DL 1982.
• Gagnière (Claude), Le Bouquin des citations : 10 000 citations de A à Z, Paris, Robert Laffont (coll. « Bouquins »), DL 2001.
• Guerlac (Othon), Les Citations françaises : recueil de passages célèbres, phrases familières, mots historiques, Paris, Armand Colin, 1931.
• Malebranche (Nicolas), De la recherche de la vérité, 2 vol. Paris, André Pralard, 1674-1675.
• Malebranche (Nicolas), Meditations Chrestiennes, Cologne, Balthasar d’Egmond, & Compagnie, 1683.
• Malebranche (Nicolas), Entretiens sur la metaphysique & sur la religion, Rotterdam, Reinier Leers, 1688.
• Malebranche (Nicolas), Œuvres, éd. Geneviève Rodis-Lewis, 2 vol., [Paris], Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), DL 1979-1992.
• Mativat (Daniel) et Vachon (Louis), Dictionnaire de pensées politiquement tordues : un pavé dans la mare, Montréal (Québec), Triptyque, DL 1997.
• Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie : par des amateurs, 3 vol., s. l. n. n., 1770.
• Voltaire, Recueil des lettres : correspondance générale, 12 vol., [Kehl], Imprimerie de la Société littéraire typographique, 1785 ; Œuvres complètes, vol. LII-LXIII.

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