Monsieur, vous avez fait…

par | Publié le 28.06.2023, mis à jour le 28.06.2023 | Orthographe

«

Monsieur, vous avez fait trois fautes d’orthographe.

»

C’est ce qu’aurait dit Thomas de Mahy, marquis de Favras, au greffier qui venait lui porter la sentence de sa condamnation à la pendaison le 18 février 1790. La réplique apparaît sous forme d’alexandrin dans la pièce de Victor Hugo Marion de Lorme (V, vii, p. 185) en 1831, mais elle est attribuée au personnage de Saverny.

L’anecdote est relatée dès 1804 dans le Nouveau Dictionnaire historique de façon assez différente :

Il [Favras] corrigea ensuite tranquillement les fautes d’orthographe et de ponctuation faites par le greffier, et dit un éternel adieu à ceux qui l’entouroient.

Louis-Mayeul Chaudon et Antoine-François Delandine, Nouveau Dictionnaire historique, vol. V, p. 41.

Ni le nombre de fautes ni un quelconque commentaire de Favras sur ces erreurs ne sont mentionnés. Notre épisode ressurgit en 1850 au sein des Mémoires posthumes de François-Joseph Talma, arrangés par Alexandre Dumas,  :

Puis, cette déclaration faite, le condamné [Favras] prit la plume et corrigea trois fautes d’ortographe [sic] que le greffier avait faites dans l’arrêt.

François-Joseph Talma, Mémoires de J.‑F. Talma, vol. III, p. 55.

Dans ces Mémoires réputés fantaisistes1, Dumas semble mêler en une synthèse le texte de Marion de Lorme à celui du Nouveau Dictionnaire historique. Il réutilisera ainsi l’anecdote dans plusieurs de ses romans. La phrase « Monsieur, vous avez fait trois fautes d’orthographe » n’est formellement prêtée à Favras qu’en 1862 par Émile Laurent, dit Émile Colombey, dans Les Originaux de la dernière heure (p. 110).

Mieux vaut être prudent face à une formule attribuée plus de soixante-dix ans après l’année où elle aurait été prononcée, comme le fait Henri Pigaillem dans son Petit Dictionnaire des grandes phrases de l’Histoire (p. 85). S’il semble que Favras ait bien corrigé les fautes de la sentence du greffier, la citation qui serait venue accompagner le geste relève de la spéculation.

Notes

1. Selon le mot de Madeleine et Francis Ambrière dans Talma ou l’Histoire au théâtre (p. 31).

Sources

  • Ambrière (Madeleine) et Ambrière (Francis), Talma ou l’Histoire au théâtre, Paris, Éditions de Fallois, DL 2007.
  • Chaudon (Louis-Mayeul) et Delandine (Antoine-François), Nouveau Dictionnaire historique : ou histoire abrégée de tous les Hommes qui se sont fait un nom par des talens, des vertus, des forfaits, des erreurs, etc., 8e éd., revue, corrigée et augmentée, 13 vol., Lyon, Bruyset aîné, 1804.
  • Cormeré (Guillaume-François Mahy de), Justification de M. de Favras : prouvée par les faits & par la procédure, 2 t., Paris, L. Potier de Lille/Chez l’auteur, 1791.
  • Hugo (Victor), Marion de Lorme, 3e éd., Paris, Eugène Renduel, 1831.
  • Laurent (Émile), Les Originaux de la dernière heure, Paris, E. Jung-Treuttel (coll. « Hetzel »), 1862.
  • Pigaillem (Henri), Petit Dictionnaire des grandes phrases de l’Histoire, [Saint-Victor-d’Épine], City éditions, DL 2008.
  • Talma (François-Joseph), Mémoires de J.‑F. Talma, éd. Alexandre Dumas, 4 vol., Paris, Hippolyte Souverain, 1849-1850.

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