Moins on possède…

par | Publié le 28.02.2024, mis à jour le 11.07.2024 | Possession

«

Moins on possède, moins on désire.

»

Cette phrase est attribuée à Mohandas Karamchand Gandhi par de nombreux sites Internet. On la trouve en effet parmi les citations diverses des Lettres à l’Âshram.

La justification de la pauvreté volontaire était l’impossibilité que tous fussent riches. Tous pourraient avoir part à la non-possession ; moins on possède, moins on désire. Je ne prêche pas la pauvreté volontaire à un peuple qui souffre de pauvreté involontaire, mais le grave problème économique national pourrait être résolu facilement si tous ceux qui sont riches voulaient bien se soumettre à la pauvreté volontaire.

Mohandas Karamchand Gandhi, Lettres à l’Âshram, p. 156-157.

L’ouvrage indique qu’il s’agit d’une traduction de Mahatma Gandhi and India’s Struggle for Swaraj. Si l’on se réfère à ce livre, on s’aperçoit qu’il n’est pas écrit par Gandhi et que le passage précité a été légèrement modifié par rapport à l’original, écrit au style indirect ou indirect libre :

Mahatma Gandhi delivered a speech embodying his message to the world at a meeting organised by the Franciscan Study Circle at the Guild House, Victoria, on September 23. The subject was « Voluntary Poverty ». Miss Maude Royden, who presided, introduced Gandhiji as the greatest living prophet on voluntary poverty. Gandhiji received a great ovation from a very large audience. He explained that he adopted voluntary poverty when he decided to enter politics, for he wanted to remain untouched by immoralities and untruth in ordinary politics. His politics had a spiritual basis and he regarded his speech that evening as much a part of his mission as the work at the Round Table Conference. The justification for voluntary poverty was that wealth for all was impossible. All could share non-possession, and the less one possessed the less one desired. Gandhiji said that he did not preach voluntary poverty to the people who suffered involuntary poverty. But the grave national economic problem could be more easily solved if those who had wealth were willing to adopt voluntary poverty. He prayed at his usual hour, his personal staff chanting. The audience then sang.

 

Le Mahatma Gandhi a prononcé un discours incarnant son message au monde lors d’une réunion organisée par le Cercle d’étude franciscain à la Guild House, Victoria, le 23 septembre. Le sujet était « La pauvreté volontaire ». Miss Maude Royden, qui présidait la séance, a présenté le vénérable Gandhi comme le plus grand prophète vivant sur la pauvreté volontaire. Le vénérable Gandhi a reçu une grande ovation de la part d’un public très nombreux. Il a expliqué qu’il a adopté la pauvreté volontaire lorsqu’il a décidé d’entrer en politique, car il voulait rester à l’écart des immoralités et des mensonges de la politique ordinaire. Sa politique avait une base spirituelle et il considérait que son discours de ce soir faisait autant partie de sa mission que le travail effectué lors de la conférence de la Table ronde. La justification de la pauvreté volontaire était que la richesse pour tous est impossible. Tous pourraient partager la non-possession, et moins on possédait, moins on désirait. Le vénérable Gandhi a déclaré qu’il ne prêchait pas la pauvreté volontaire aux personnes qui souffraient d’une pauvreté involontaire. Mais le grave problème économique national pourrait être plus facilement résolu si ceux qui possèdent des richesses étaient prêts à adopter la pauvreté volontaire. Il a prié à l’heure habituelle, son personnel chantant. Le public a ensuite chanté.

Bidhubhusan Sen Gupta et R. Chowdhury, Mahatma Gandhi and India’s Struggle for Swaraj, p. 85 ; notre trad.

Nous n’avons donc pas la teneur des propos exacts de Gandhi. Quoi qu’il en soit, la citation qui lui est attribuée est de toute façon plus ancienne que lui. Elle apparaît en français dès 1816 pour traduire un passage des Satires de Juvénal. Le poète romain des ier et iie siècles peut-il donc être considéré comme le créateur de notre formule ? Peut-être. Ci-dessous figure la traduction un peu adaptée qu’on a faite de ses vers latins suivie d’une traduction littérale :

[…]

crescit amor nummi, quantum ipsa pecunia crevit,

et minus hanc optat qui non habet.

 

La passion des richesses croît à mesure que le trésor grossit : moins on possède, moins on désire.

 

[…] l’amour des écus grandit chez toi autant que se multiplie l’argent. Celui qui n’en possède pas en a moins le désir.

Juvénal, Satires, XIV, 139-140 ; 1re trad. Moustalon, p.  207, § 965 ; 2de trad. Pierre de Labriolle et François Villeneuve.

Sources

  • Gandhi (Mohandas Karamchand), « “Moins on possède, moins on désire” », « Musique maestro ! », « Citations », Le Figaroscope [en ligne], s. d.
  • Gandhi (Mohandas Karamchand), Lettres à l’Âshram, trad. Jean Herbert, Paris, Albin Michel (coll. « Spiritualités vivantes », série « Hindouisme »), DL 1989.
  • Juvénal, Satires, éd. et trad. Pierre de Labriolle et François Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres (« Collection des universités de France »), 1921.
  • Moustalon, La Morale des poètes, ou Pensées extraites des plus célèbres poètes latins et français, nouvelle éd. augmentée, Versailles, Lebel / Paris, Guitel, 1816.
  • Sen Gupta (Bidhubhusan) et Chowdhury (R.), Mahatma Gandhi and India’s Struggle for Swaraj, Calcutta, Modern Book Agency, [1932 ?].

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