Je sais…

par | Publié le 05.11.2022, mis à jour le 14.07.2024 | Connaissance

«

Je sais que je ne sais rien.

»

Un certain nombre de recueils attribuent cette citation à Socrate, bien qu’elle soit absente de l’œuvre de Platon, son disciple. Au sein de celle-ci, on peut néanmoins relever dans la bouche du premier :

Тούτου μὲν τοῦ ἀνθρώπου ἐγὼ σοφώτερός εἰμι· κινδυνεύει μὲν γὰρ ἡμῶν οὐδέτερος οὐδὲν καλὸν κἀγαθὸν εἰδέναι· ἀλλ’ οὗτος μὲν οἴεταί τι εἰδέναι οὐκ εἰδώς· ἐγὼ δέ, ὥσπερ οὖν οὐκ οἶδα, οὐδὲ οἴομαι. Ἔοικα γοῦν τούτου γε σμικρῷ τινι αὐτῷ τούτῳ σοφώτερος εἶναι, ὅτι ἃ μὴ οἶδα οὐδὲ οἴομαι εἰδέναι.

 

À tout prendre, je suis plus savant que lui. En effet, il se peut que ni l’un ni l’autre de nous ne sache rien de bon ; seulement, lui croit qu’il sait, bien qu’il ne sache pas ; tandis que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus rien savoir. Il me semble, en somme, que je suis tant soit peu plus savant que lui, en ceci du moins que je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas.

Platon, Apologie de Socrate, 21d1.

Mais également :

[…] τῶν μὲν γὰρ πραγμάτων ᾗ ἔχει ἔσφαλμαι, καὶ οὐκ οἶδ᾿ ὅπῃ ἐστί. Тεκμήριον δέ μοι τούτου ἱκανόν, ὅτι ἐπειδὰν συγγένωμαί τῳ ὑμῶν τῶν εὐδοκιμούντων ἐπὶ σοφίᾳ καὶ οἷς οἱ Ἕλληνες πάντες μάρτυρές εἰσι τῆς σοφίας, φαίνομαι οὐδὲν εἰδώς […].

 

La réalité m’échappe, je ne sais pas ce qu’elle est. La preuve en est que, mis en présence d’un d’entre vous qui êtes renommés pour votre savoir, comme tous les Grecs en rendent témoignage, il apparaît que je ne sais rien.

Platon, Hippias mineur, 372b.

Ce sont des auteurs tardifs qui mentionnent la phrase telle que nous la connaissons. En latin, Cicéron :

Hic in omnibus fere sermonibus, qui ab is qui illum audierunt perscripti varie copioseque sunt, ita disputat ut nihil affirmet, ipse refellat alios, nihil se scire dicat nisi id ipsum, eoque praestare ceteris, quod illi quae nesciant scire se putent, ipse se nihil scire id unum sciat, ob eamque rem se arbitrari ab Apolline omnium sapientissimum esse dictum, quod haec esset una omnis sapientia, non arbitrari sese scire quod nesciat.

 

Dans presque tous ses entretiens, si diversement et abondamment transcrits par ses disciples, Socrate utilise une méthode de discussion telle qu’il n’affirme rien lui-même, détrompe les autres, dit que tout ce qu’il sait c’est qu’il ne sait rien, et que, s’il l’emporte sur les autres, c’est parce que ceux-ci croient savoir ce qu’ils ne savent pas, tandis que lui sait seulement qu’il ne sait rien. Telle est, à son jugement, la raison pour laquelle Apollon l’a déclaré le plus sage de tous les hommes, toute la sagesse consistant uniquement à ne pas juger que l’on sait ce que l’on ne sait pas.

Cicéron, Les Académiques, I, 16.

En grec, Diogène Laërce :

Ἔλεγε δὲ καὶ […] εἰδέναι μὲν μηδὲν πλὴν αὐτὸ τοῦτο [εἰδέναι].

 

Il disait aussi […] qu’il ne savait rien, sauf qu’il savait justement cela.

Diogène Laërce, Diogenis Laertii Vitae philosophorum, vol. I, II, 32, éd. Herbert Strainge Long ; trad. sous la dir. de Marie-Odile Goulet-Cazé, Vies et doctrines des philosophes illustres.

Priscilla Sakezles fait remarquer que « Je sais que je ne sais rien » relève d’une position dogmatique qui tranche avec la tendance sceptique de Socrate. Elle note aussi, comme d’autres auteurs, que la formule est paradoxale, contradictoire : si l’on ne sait rien, on ne peut pas savoir que l’on ne sait rien. Gail Fine, sans doute à l’origine de l’étude la plus complète sur le sujet, estime que dans l’ensemble il vaut mieux ne pas l’attribuer au maître de Platon.

Notes

1. Pour d’autres exemples tirés du même ouvrage, voir Priscilla Sakezles, « What Sort of Skeptic is Socrates ? », Teaching Philosophy, vol. XXXI, no 2, p. 115-116.

Sources

  • Amiel (Anne), 50 Grandes Citations philosophiques expliquées, Alleur, Marabout (coll. « Marabout Service », série « Parascolaire, formation permanente »), DL 1991.
  • Annas (Julia), « Plato the Sceptic », dans Methods of Interpreting Plato and His Dialogues, sous la dir. de James Carl Klagge et Nicholas D. Smith, Oxford, Clarendon Press (coll. « Oxford Studies in Ancient Philosophy »), 1992, p. 43-72.
  • Cicéron, Les Académiques, [ePub], éd. et trad. José Kany-Turpin, Paris, Flammarion (coll. « GF »), DL 2010.
  • Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres [ePub], trad. sous la dir. de Marie-Odile Goulet-Cazé, éd. et trad. Jean-François Balaudé, et al., [Paris], Le Livre de poche (coll. « La Pochothèque », série « Classiques modernes »), s. d.
  • Diogène Laërce, Diogenis Laertii Vitae philosophorum, éd. Herbert Strainge Long, 2 vol., Oxford, e typographeo Clarendoniano (coll. « Scriptorum classicorum bibliotheca Oxoniensis »), cop. 1964.
  • Fine (Gail), « Does Socrates Claim to Know That He Knows Nothing ? », dans Essays in Ancient Epistemology [PDF], Oxford, Oxford University Press, cop. 2021, p. 33-62.
  • Guerlac (Othon), Les Citations françaises : recueil de passages célèbres, phrases familières, mots historiques, Paris, Armand Colin, 1931.
  • Millet (Olivier), Dictionnaire des citations, Paris, Librairie générale française (coll. « Le Livre de poche », série « Les Usuels de poche »), DL 1992.
  • Platon, Œuvres complètes, éd. et trad. Maurice Croiset, Paris, Les Belles Lettres (« Collection des universités de France »), 1966, vol. I (« Introduction, Hippias mineur, Alcibiade, Apologie de Socrate, Euthyphron, Criton »).
  • Platon, Platon : œuvres complètes, sous la dir. de Luc Brisson [ePub], Paris, Flammarion, cop. 2008.
  • Platon, Platone, « Ippia minore » [PDF], éd. et trad. Silvia Venturelli, Baden-Baden, Academia (coll. « Diotima, Studies in Greek Philology »), cop. 2020.
  • Sakezles (Priscilla), « What Sort of Skeptic is Socrates ? », Teaching Philosophy [PDF], vol. XXXI, no 2, juin 2008, p. 113-118.
  • Taylor (Christopher Charles Whiston), Socrates : A Very Short Introduction [ePub], 2e éd., Oxford, Oxford University Press (coll. « Very Short Introductions »), cop. 2019.

Mots-clés

Citations vérifiées