Le mauvais goût…
«
Le mauvais goût mène au crime.
»
Qui a dit cela ? Stendhal, Louis-Adolphe de Mareste, Charles Augustin Sainte-Beuve ? Les sources divergent. Pour Maurice Maloux, le mot est cité par Sainte-Beuve (bien que l’on n’en trouve pas trace dans son œuvre) et a été dit par le baron de Mareste. Ce dernier se voit attribuer la formule en 1879 (soit douze ans après sa mort) par Maurice Tourneux dans une étude sur Prosper Mérimée :
La réunion des convives n’est pas moins curieuse : c’étaient le baron de Mareste, le spirituel ami de Jacquemont et de Stendhal, auxquels il a de beaucoup survécu et qui devaient lui envier son célèbre paradoxe : « Le mauvais goût mène au crime » […].
Maurice Tourneux, Prosper Mérimée : ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, p. 48.
Voici ce qu’a écrit Mérimée et qui constitue la plus ancienne attestation de notre phrase :
Il [Stendhal] admirait beaucoup ce mot de M. de M… « que le mauvais goût mène au crime ».
Prosper Mérimée, « Notes et souvenirs », dans Stendhal, Correspondance inédite, vol. I, p. xxiii.
L’auteur de la citation n’est donc mentionné que par son initiale, mais il semblerait que ce soit une façon pour Mérimée de désigner Mareste1.
Quelques années plus tard Arthur Conan Doyle emploie « Le mauvais goût mène au crime » en français dans une de ses aventures de Sherlock Holmes :
Besides, it would have been such bad taste to have treated a young lady in so scurvy a fashion. « Le mauvais goût mène au crime. » The French have a very neat way of putting these things.
De plus, il aurait été malséant de traiter une jeune dame de manière aussi vile. « Le mauvais goût mène au crime » : les Français ont une manière très habile de le formuler.
Arthur Conan Doyle, Le Signe des quatre, dans Les Aventures de Sherlock Holmes [PDF], vol. I, p. 238-239.
Notes
1. Dans ses Portraits historiques et littéraires, Mérimée emploie deux fois M. de M… : « Il eût été de l’avis de M. de M…, qui soutenait que le mauvais goût mène au crime » (« Victor Jacquemont », p. 104). « Il admirait beaucoup ce mot de M. de M… “que le mauvais goût mène au crime” (« Stendhal », p. 191). Cela inspire à Pierre Jourda la note suivante : « … M. de M…, : Mareste, l’intime ami de Stendhal et de Mérimée » (p. 272). Il faut noter que ce M. de M… a dû engendrer des confusions, Paul Bourget, par exemple, y voyant le prince de Metternich : « Mérimée raconte que Beyle citait volontiers avec admiration cette phrase, de Metternich, je crois : “Le mauvais goût mène au crime” » (Paul Bourget, « Mérimée nouvelliste », Revue des Deux Mondes, 90e année, 6e période, vol. LIX, p. 257).
Sources
- Bourget (Paul), « Mérimée nouvelliste », Revue des Deux Mondes, 1920, 90e année, 6e période, vol. LIX, p. 257-271.
- Cossé (Laurence), « Célèbre par un mot », La Croix [PDF], 27 janvier 2021, p. 32.
- Dag’Naud (Alain) et Dazat (Olivier), Dictionnaire (inattendu) des citations, [Bagneux], Le Livre de Paris / [Paris], Hachette, 1983.
- Doyle (Arthur Conan), Les Aventures de Sherlock Holmes [PDF], trad. Éric Wittersheim, éd. intégrale bilingue, 3 vol., [Paris], Omnibus (coll. « Omnibus »), DL 2005-2009.
- Dutourd (Jean), L’Âme sensible, 8e éd., Paris, Gallimard, DL 1959.
- Maloux (Maurice), Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Paris, Larousse (coll. « Références Larousse », série « Langue française »), DL 1980 (éd. 1991).
- Mérimée (Prosper), Portraits historiques et littéraires, éd. Pierre Jourda, Paris, Honoré Champion, 1928 ; Œuvres complètes, sous la dir. de Pierre Trahard et Édouard Champion, vol. V.
- Millet (Olivier), Dictionnaire des citations, Paris, Librairie générale française (coll. « Le Livre de poche », série « Les Usuels de poche »), DL 1992.
- Sainte-Beuve (Charles Augustin), Œuvres, éd. Maxime Leroy, 2 vol., [Paris], Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), DL 1956-1960.
- Sollers (Philippe), Un vrai roman : Mémoires, [Paris], Plon, DL 2007.
- Stendhal, Correspondance inédite, 2 vol., Paris, Michel-Lévy frères, 1855.
- Tourneux (Maurice), Prosper Mérimée : ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, Paris, Charavay frères, 1879.
Mots-clés