On ne va jamais aussi loin…

par | Publié le 24.03.2024, mis à jour le 25.03.2024 | Destination

«

On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va.

»

Le Dictionnaire amoureux de l’entreprise et des entrepreneurs nous apprend ceci :

Quand Christophe Colomb accoste au Portugal en mars 1493, après avoir découvert fortuitement l’Amérique, il exprime une sage pensée : « On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. »

Christophe Barbier, « Esprit d’entreprise », dans Dictionnaire amoureux de l’entreprise et des entrepreneurs.

La citation « de » Colomb figure également sur de nombreux sites Internet. Bien entendu, le navigateur génois n’a jamais rien dit de tel. Alors pourquoi cette erreur ? En 1983, Alain Dag’Naud et Olivier Dazat citent notre phrase dans leur dictionnaire sous la rubrique humoristique « Christophe Colomb », mais ils indiquent comme auteur l’homme politique anglais Oliver Cromwell.

Le cardinal de Retz rapporte en effet ce propos, un peu différent de la citation susmentionnée.

M. de Bellievre1 avoit vû & connu Cromwel en Angleterre. Il me disoit un jour, qu’il lui avoit entendu dire que l’on ne montoit jamais si haut, que quand on ne sçait où l’on va.

Cardinal de Retz, Mémoires de Monsieur le Cardinal de Retz, vol. III, p. 221-222.

La traduction en anglais apparaît quelques années plus tard :

Cromwell said to Mr. Belliure [sic] : L’on ne montoit jamais si haut, que quand on ne sçait où l’on va. That is, a Man never rises so high as when he knows not where he is going. Retz. T. III. p. 385.

Paul Rapin de Thoyras, The History of England, as Well Ecclesiastical as Civil, vol. XIII, p. 97, n.

C’est au xixe siècle que la phrase de Cromwell, déformée, aboutit à sa version moderne :

« On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait où l’on va », disait Cromwell à l’ambassadeur de France.

Guillaume-Honoré Rocques de Montgaillard, Histoire de France, depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu’à l’année 1825, vol. V, p. 328.

Notons que notre citation, outre Christophe Colomb, est aussi prêtée à Antoine de Rivarol et à Maximilien de Robespierre2 !

Notes

1. Pomponne II de Bellièvre, ambassadeur extraordinaire en Angleterre de 1637 à 1640, conseiller puis président au Parlement, premier président en 1653.

2. Antoine de Rivarol, Pensées, Répliques et Portraits, p. 35 ; Charles Nodier, « Souvenirs et portraits de la Révolution française : 1er article, de Robespierre le Jeune et de la Terreur », Revue de Paris, vol. I, p. 51.

Sources

  • Cromwell (Oliver), « Quotes », « Oliver Cromwell », dans Wikiquote [en ligne], Wikimedia Foundation, [2004], mis à jour en 2024 [consulté le 25 mars 2024].
  • Dag’Naud (Alain) et Dazat (Olivier), Dictionnaire (inattendu) des citations, [Bagneux], Le Livre de Paris / [Paris], Hachette, 1983.
  • Dictionnaire amoureux de l’entreprise et des entrepreneurs, sous la direction de Denis Zervudacki, Paris, Plon, cop. 2021.
  • Dournon (Jean-Yves), Dictionnaire des citations françaises, Paris, Archipoche, DL 2010.
  • Maloux (Maurice), Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Paris, Larousse (coll. « Références Larousse », série « Langue française »), DL 1980 (éd. 1991).
  • Montgaillard (Guillaume-Honoré Rocques de), Histoire de France, depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu’à l’année 1825, 2e éd., 9 vol., Paris, Moutardier, 1827.
  • Nodier (Charles), « Souvenirs et portraits de la Révolution française : 1er article, de Robespierre le Jeune et de la Terreur », Revue de Paris, 1829, vol. I, p. 43-54.
  • Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, éd. Louis André, et al., 31 t., Paris, Félix Alcan, et al., 1884 1998.
  • Retz (cardinal de), Mémoires, 4 vol., Amsterdam, Jean Frédéric Bernard, 1717.
  • Retz (cardinal de), « Mémoires » précédés de « La Conjuration du comte de Fiesque », éd. Simone Bertière, [Paris], Le Livre de poche/Classiques Garnier (coll. « La Pochothèque », série « Classiques modernes »), cop. 1998.
  • Rivarol (Antoine de), Pensées, Répliques et Portraits, éd. Jean Orizet, Paris, Le Cherche midi éditeur (coll. « Les Pensées »), 2001.

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