Passé soixante ans…
«
Passé soixante ans, quand on se réveille sans avoir mal quelque part, c’est qu’on est mort.
»
Cette citation est attribuée à nombre de personnalités : Georges Wolinski, Michel Blanc, Archibald Davenport1 et d’autres encore.
La piste la plus sérieuse est celle de Ricet Barrier, à qui notre phrase est prêtée par plusieurs ouvrages. On trouve dans un article du Soleil de 1998 des propos rapportés de Barrier. Celui-ci, selon la journaliste, aurait souhaité intituler son autobiographie : Passé soixante ans, quand on se réveille sans avoir mal quelque part, c’est qu’on est mort. Cela fait-il pour autant de l’artiste le créateur de notre phrase ? On peut en douter.
On note en effet dès 1981 sous la plume du docteur Laurence Cassan cet extrait :
Il doit avoir en tête cette plaisanterie d’un médecin philosophe : « À partir d’un certain âge (non précisé), si on se lève le matin sans que rien ne cloche, c’est qu’on est mort. »
Laurence Cassan, Les Règles d’or de la santé, p. 129.
Cette absence de précision sur l’âge doit être mise en regard des multiples variantes chiffrées de la citation : quarante, cinquante, soixante, soixante-dix2. Elle marque une certaine ancienneté et la difficulté de trouver un auteur. Un autre témoignage se révèle intéressant :
There is a Russian expression : if you wake up feeling no pain, you know you’re dead.
Il existe une expression russe qui dit : « Si tu te réveilles sans ressentir aucune douleur, c’est que tu es mort. »
Andrew Solomon, The Noonday Demon, p. 24 ; notre trad.
Notre expression aurait donc un rapport avec un médecin et la Russie. On relève bien dès 1977 dans le roman Утро, день, вечер (« Le Matin, le Jour, le Soir ») :
Один знакомый врач сказал мне недавно, очевидно, в утешение : « Если ты проснулся утром и тебе уже за пятьдесят, а у тебя ничего не болит, значит, ты умер. »
Un médecin de ma connaissance m’a récemment dit, apparemment pour me réconforter : « Si tu te réveilles le matin et que tu as déjà plus de cinquante ans, mais que tu n’as mal nulle part, cela signifie que tu es mort. »
Fiodor Kolountsev, Утро, день, вечер, dans Октябрь, no 8, p. 81 ; notre trad.
Là encore, d’autres textes russes de cette période mentionnent des âges différents. Si la citation est peut-être d’origine russe, elle est sans doute antérieure aux années 1970 et anonyme.
Notes
1. Georges Wolinski (Le Petit Livre des répliques les plus drôles, p. 60-61), Michel Blanc (Le Petit Livre des répliques les plus drôles du cinéma, p. 94), Archibald Davenport (Franz-Olivier Giesbert, L’Immortel, p. 55). On notera que ce dernier est issu de l’imagination de Giesbert ! Le Bouquin des citations, de Claude Gagnière (« Mort »), indique plus modestement que la citation est anonyme.
2. Quarante (Le Petit Livre des répliques les plus drôles du cinéma, p. 94), cinquante (Franz-Olivier Giesbert, L’Immortel, p. 55), soixante (Le Petit Livre des répliques les plus drôles, p. 60-61 ; Sébastien Bailly, « Mal », dans Le Meilleur de l’humour noir), soixante-dix (Alfred Alvarez, Day of Atonement, p. 86). Sur les variations de nombres dans les citations, cf. Tristan Grellet, « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? », dans Citations vérifiées [en ligne].
Sources
- Alvarez (Alfred), Day of Atonement, Londres, Jonathan Cape, cop. 1991.
- Bailly (Sébastien), Le Meilleur de l’humour noir, Paris, Éditions Mille et Une Nuits (coll. « Mille et Une Nuits »), cop. 2008.
- Cassan (Laurence), Les Règles d’or de la santé, Paris, Olivier Orban, DL 1981.
- Gagnière (Claude), Le Bouquin des citations : 10 000 citations de A à Z, Paris, Robert Laffont (coll. « Bouquins »), DL 2001.
- Giesbert (Franz-Olivier), L’Immortel, [Paris], Flammarion (coll. « Flammarion noir »), DL 2007.
- Grellet (Tristan), « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages ? », dans Citations vérifiées [en ligne], Citations vérifiées, 2023, mis à jour en 2025 [consulté le 21 octobre 2025].
- Kolountsev (Fiodor), Утро , день , вечер, dans Октябрь, 1977, no 8, p. 11-101.
- LaFerrière (Michèle), « Grivoisement vôtre », Le Soleil, 6 juin 1998, p. D 7.
- Petit Livre des répliques les plus drôles (Le), éd. Jean Orizet, Paris, Le Cherche midi (coll. « Le Petit Livre »), DL 2004.
- Petit Livre des répliques les plus drôles du cinéma (Le), éd. Arnaud Hofmarcher, Paris, Le Cherche midi (coll. « Le Petit Livre »), DL 2008.
- Solomon (Andrew), The Noonday Demon : An Atlas of Depression, New York, etc., Scribner, cop. 2001.
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